Oumou Wele :
“Je dédie ce livre à tous les Moussa”
Tombée dans les univers imaginaires depuis son plus tendre âge, Oumou Wele est l’auteure du livre jeunesse, Moussa entre en 6e paru chez l’Harmattan en 2020. C’est au cours d’une soirée de Décembre qu’elle a accepté de répondre à nos questions en visioconférence. L’occasion pour nous de discuter de son livre, de son processus d’écriture mais également de sa vision de la littérature jeunesse actuelle.
Pouvez-vous vous présenter s’il vous plaît ?
Oui, moi c’est Oumou Wele. Je suis une jeune femme qui vient de région parisienne et j’ai écrit mon premier livre enfant qui se nomme Moussa entre en 6e.
Comment vous est venu ce goût de la littérature ?
Alors pour moi le goût de la littérature est venu à partir du moment où j’ai su lire. Je me souviens avoir commencé à déchiffrer les lettres et les mots comme fait tout enfant en CP et un après midi ma maman nous a accompagné mes sœurs et moi à la médiathèque à côté de la maison et là : j’entre dans l’univers de la littérature. Je me souviens que le libraire a été bienveillant, qu’il nous a mis entre les mains quelques livres et que je les ai littéralement avalés en un après-midi. A partir de là, je n’ai jamais arrêté de lire. Je suis tombé dedans, dans les univers imaginaires et j’ai adoré. Et j’ai lu, et puis j’ai lu et je lis encore.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours créatif ?
Je suis retombée sur des carnets à moi et je me rends compte que j’écris depuis que j’ai peut-être 12 ans. J’avais des journaux intimes mais au-delà de ça, j’écrivais aussi des mini-histoires, des toutes petites nouvelles de la vie de tous les jours avec des personnages inventés ou dans des situations qui étaient le reflet soit de ma journée type, soit de l’imaginaire. Je trouvais que c’était marrant d’avoir une petite autobiographie un peu marrante et pendant que j’écrivais Moussa entre en 6e, j’avais mon petit frère, le cadet de la famille qui était en face de moi, qui s’appelle Moussa et qui à l’époque avait 11 ans. Je me suis dit que si je pouvais l’intégrer à l’histoire et bien ce serait super ça me ferait plaisir, il incarnerait un rôle, un personnage. Ça pourrait lui donner un peu de boost et ce serait un beau cadeau que je pourrais lui faire.
Comme l’a t-il pris ?
C’est marrant parce qu’aujourd’hui Moussa a 15 ans. À l’époque où je réfléchissais à l’histoire, il était tout petit, il avait 10 – 11 ans, donc il ne réalisait pas vraiment ce que je faisais. Je lui disais, “Moussa viens, raconte moi les bêtises que tu fais avec tes copains, je ne le dirai pas aux parents”. C’était assez drôle, il était à fond. Et l’histoire je l’ai vraiment écrite l’année dernière. Il était dans l’adolescence et il me disait qu’il était un peu gêné. Ensuite il n’y pensait pas trop parce que c’était pas concret et puis quand il a vu le livre réellement sorti, il était assez fier.
Comment s’est déroulé le processus créatif de ce livre ?
Alors, le manuscrit je l’ai fait un peu pour moi pendant le confinement l’année dernière. À la base je suis cadre dans l’informatique et je me suis dit c’est le moment d’écrire le livre que tu veux. Donc j’ai écrit le manuscrit en me disant, on va voir ce que ça vaut et je l’envoie à des maisons d’édition pour voir les retours qu’on me fait.
Je l’ai envoyé à un éditeur et deux jours après, il m’a tout de suite rappelé en me disant que mon manuscrit était excellent et qu’il voulait me proposer une collaboration. Ensuite, il fallait que je trouve un illustrateur. J’ai pris le temps de réfléchir et de collaborer avec un illustrateur qui me plaisait particulièrement, Maël Noubissi, que j’ai découvert sur Instagram. Je suivais déjà sa page parce que je trouvais que les petites histoires qu’il mettait en avant et les scènes de la vie au quotidien étaient bien mises en valeur. Elles étaient modernes. C’était des illustrations dans lesquelles on pouvait tous se trouver, tant dans les thématiques abordées que dans le dessin en soi qui est très authentique, comme je le voulais pour le livre. Je voulais vraiment quelque chose qui s’ancre dans la réalité pour que les lecteurs, qui sont aujourd’hui des préadolescents puissent s’y retrouver.
Pensez-vous que le manque de représentation en littérature jeunesse pousse des auteurs à s’investir davantage dans la partie illustrée de leur livre ?
Je me pose la question. Pour donner du contexte, l’illustrateur qui s’appelle Maël Noubissi est d’origine camerounaise et ses illustrations illustrent sa vie au quotidien, ce sont des personnes d’origine africaine. Donc je pense que c’est peut-être pour cela que j’ai été attirée par ses illustrations, parce que j’ai vu que c’était une représentation juste. A la fois dans la forme des visages, des carnations, des différentes textures de cheveux : tout ce qui fait que l’on est d’origine africaine, que l’on est noir. C’était pour ça que j’ai été attirée par lui, parce que c’était réaliste et non caricatural. Donc je ne sais pas si j’ai voulu vraiment mettre en avant cette partie-là parce que j’ai voulu contrebalancer ou est-ce que c’était simplement parce que je voulais mettre en avant la réalité que j’ai vécu et celle qu’a vécue Moussa.
Quels messages avez-vous voulu faire passer à travers ce livre jeunesse ?
C’est en ayant fini le manuscrit et en le mettant à disposition des lecteurs et puis surtout en voyant le produit fini avec l’illustration et le livre bien fait, bien terminé que je me suis aperçue que Moussa entre en 6e mettait en avant plusieurs messages. Le premier étant la diversité de la culture française, parce que Moussa et ses camarades de classe ont tous des origines différentes. Je voulais également donner confiance aux enfants parce que je me souviens que pour moi à l’époque, l’entrée en 6e était une étape importante. En ayant des retours de lecteurs, je m’aperçois que ça a soulevé beaucoup de questions et que ça a délié les langues sur leurs inquiétudes et sur ce qu’il va se passer à la rentrée. Avoir une journée-type de la rentrée leur permet de l’appréhender avec plus de sérénité.
Le troisième message que je voulais faire passer, c’est de montrer que tous les enfants ont leur place partout. D’ailleurs ma dédicace c’est “Je dédie ce livre à tous les Moussa, pour asseoir leur légitimité en fait, en tant qu’enfant ou en tant que, peut-être adultes, sait-on jamais s’ils se sentent touchés par ce livre, mais que chacun à sa place peu importe où il se situe. Le quatrième message, c‘est leur montrer qu’ils peuvent affronter toutes épreuves que la vie leur donne.
Qu’est-ce qui selon vous compose le secret d’un bon livre ?
D’un point de vue d’écrivaine, j’ai écrit le livre Moussa avec ce que j’avais en moi, en toute honnêteté et transparence. J’ai aussi écrit un recueil de poèmes qui s’appelle Le Passage qui va être publié au mois de Mars et je me rends compte que le processus n’est peut-être pas le même mais que la source est la même. Parce que ça ressort de mes émotions, de mes souvenirs, de mon être à moi. Et je pense que pour qu’une œuvre fonctionne ou touche les gens il faut parler avec son émotion. Qu’est-ce qui nous lie tous ? Eh bien, on partage tous des émotions, qui sont peut-être exprimées à un niveau différent selon le contexte ou selon la personne, mais on a tous des questionnements identitaires, identiques en tout cas et on a tous des émotions par lesquelles on passe je pense que c’est ça en fait qui touche un lecteur. C’est qu’il puisse sentir, qu’à un moment donné dans le livre, il peut se dire “oh elle m’a compris, oh, c’est une émotion que j’ai ressentie”, être touché quoi. Pour moi c’est ça un bon livre, c’est quand on arrive à toucher un lecteur et qu’on arrive à susciter une émotion chez lui.
Où peut-on trouver Moussa entre en 6e ?
Moussa entre en 6e peut être trouvé sur le site de l’Harmattan, en librairie physique Harmattan ou sur Internet, notamment sur la Fnac et Amazon.
Vous pouvez le trouver sur mon site internet https://oumouwells.com
Que pensez-vous de la production littéraire jeunesse actuelle en France ?
Ce que j’ai pu constater sur la littérature jeunesse actuelle, c’est qu’on a de plus en plus de livres qui mettent en avant la diversité de la jeunesse. Je pense qu’il y a une bonne prise de conscience de notre génération, je nous inclus parce que nous sommes les enfants lecteurs qui avons lu des livres, et qui inconsciemment, même si on le savait pas, avions intégré que nous n’étions pas représentés. Et puis on a grandi et on s’est dit qu’on ne voulait peut-être pas la même chose pour les futurs lecteurs. On veut qu’eux au moins se sentent bien en lisant un livre, qu’ils se sentent un peu concernés.
Donc ce que je vois, c’est qu’il y a un énorme boom dans la création littéraire jeunesse qui est totalement diversifiée, tant d’un point de vue des origines que des différents types de personnalités qu’on peut trouver, de validisme aussi, c’est une palette qui se met en avant. Par contre ce que j’ai pu constater, c’est qu’il y a quand même, que ce sont des maisons d’édition de niche qui mettent en avant cette littérature-là. Ce sont les maisons d’édition de niche qui ont moins de poids que les maisons d’édition traditionnelles. Et ça, je le trouve dommage. C’est pareil, j’avais échangé avec une journaliste, il y a peu, qui me disait que je faisais partie des rares femmes d’origine africaine à écrire de la littérature jeunesse. Moi, ce que je dis c’est que je suis peut-être l’une des rares femmes à avoir été publiée, mais des écrivaines talentueuses on en a partout. Peut-être pas partout, j’exagère mais on en a. Est-ce qu’on leur donne la chance d’être publiées, est-ce qu’on leur en offre l’opportunité ? Ça, c‘est une autre question. Donc pour moi la tendance est quand même positive, on voit de plus en plus d’œuvres littéraires, des œuvres fictives ou des œuvres un peu plus autobiographiques, ça peut être des œuvres qui ont un message fort à faire passer, l’acceptation de soi. Ça peut être également des œuvres qui sont plus imaginaires, un peu plus légères. Moi j’aime ce panel, cette diversité dans l’offre actuelle mais je pense qu’il faudrait que ces oeuvres-là aient encore plus de visibilité, au delà de la visibilité sur les réseaux sociaux qui impacte énormément aujourd’hui, il faut qu’on puisse les voir dans les librairies, il faut qu’on puisse les voir à l’extérieur, il faut qu’on puisse les voir dans les bibliothèques.
L’idée serait d’appeler une littérature jeunesse, une littérature jeunesse et non pas une littérature engagée ou autre. De la littérature jeunesse, c’est de la littérature jeunesse et on est censé avoir tout panel de représentation dedans.
Avez-vous une œuvre à nous recommander et que vous affectionnez tout particulièrement ?
C’est une question difficile parce que j’en ai plein ! J’ai plein d’œuvres que j’affectionne parce que je lis beaucoup. J’ai Chimamanda Ngozi Adichie qui fait partie du top de la littérature contemporaine. Qu’est-ce qu’on a d’autre, on a du Toni Morrison qui est ben, Toni Morrison, quoi ! On a bell hooks également, All about love. Dans littérature française, moi j’aime beaucoup Ensemble, c’est tout d’Anna Gavalda, qui est mon livre feel good que je prends tout le temps avec moi. J’ai la collection Harry Potter qui m’a permis d’entrer vraiment dans une première saga que j’ai pu lire de bout en bout comme je pense beaucoup de personnes de ma génération.
J’aime beaucoup également la poésie de l’auteur américain R.H Sin, donc j’ai plein, plein de livres et pardon j’ai aussi Une si longue lettre, bien entendu, et également Trois Femmes Puissantes de Mame Diane qui est très très fort et très inspirant. Et pardon, j’oubliais un dernier point sur Mrs Roots, l’auteure qui s’appelle Laura Nsafou qui nous sort des œuvres incroyables à une allure, une cadence, je ne sais pas comment elle fait mais littérature jeunesse excellente et là elle nous fait de la science-fiction avec Nos Jours Brulés, donc voilà !
Merci beaucoup pour l’interview et merci beaucoup pour l’échange.
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